Lors de son discours à l’occasion de la commémoration de la fête nationale de l’indépendance, en novembre 2024, le Président Mohamed Cheikh El Ghazouani a appelé à un dialogue politique national, respectant ainsi une de ses promesses électorales et son programme. Ce dialogue s’inscrit dans une démarche plus large de renforcement de la démocratie et de la stabilité politique en Mauritanie. En effet, le dialogue politique est perçu comme un outil pour éviter des tensions sociales, consolider la démocratie et traiter les questions d’intérêt national. La Mauritanie a connu plusieurs dialogues politiques dans le passé. Certains ont été jugés infructueux, d’autres ont permis des avancées. Le dialogue actuel s’inscrit dans une volonté de renouvellement et de réussite. En effet, les dialogues politiques en Mauritanie peuvent être confrontés à des défis comme le manque de confiance entre les acteurs, des enjeux de représentativité et des divergences sur les sujets de discussion.
La réussite du dialogue actuel dépendra de la capacité des acteurs à surmonter ces défis et à trouver des solutions consensuelles. Le dialogue est une opportunité pour construire un avenir plus stable et plus démocratique pour la Mauritanie Les avis divergent toutefois sur l’issue de ces assises. La majorité présidentielle qui soutient l’initiative estime qu’il s’agit d’une opportunité pour renforcer la concertation entre les acteurs politiques. Du côté de l’opposition, la prudence prévaut. Elle ne veut pas que ce dialogue soit une répétition des exercices qui ont été organisés par les pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays depuis l’avènement de la démocratie en 1992.
Comment garantir la transparence et la mise en œuvre des résultats du dialogue ?
Au cours des vingt dernières années, la Mauritanie a organisé cinq dialogues politiques (en 2004, 2005, 2007, 2017 et 2018), sans parvenir à résoudre les problèmes de fond : la fracture sociale qui compromet l’unité nationale, la mauvaise gouvernance et la corruption, les dysfonctionnements électoraux, la persistance de l’esclavage et ses séquelles, ainsi que le passif humanitaire laissé par les exactions commises par les pouvoirs publics contre les fonctionnaires et militaires négro-mauritaniens entre 1986 et 1991. Ces processus ont jusqu’ici échoué à produire des résultats tangibles. L’organisation de ce nouveau dialogue répond donc à une demande maintes fois réitérée par les partis de l’opposition. Ils espèrent qu’elle sera l’occasion d’un débat franc qui aboutira à des compromis sur ces défis majeurs. Depuis février 2025, des tractations sont en cours pour convaincre le maximum d’acteurs politiques et de la société civile à participer à ce nouveau dialogue. Le président Ghazouani a mené une série d’entretiens avec les chefs des formations politiques pour les y convier. Puis, Moussa Fall, nommé coordinateur du dialogue, a entamé des concertations avec les différentes parties prenantes pour discuter des contours de ces assises et s’assurer de leur participation. Des demandes de contributions à la feuille de route du dialogue ont été adressées aux acteurs politiques dont plusieurs ont déjà transmis leurs avis. Certains estiment néanmoins que le coordinateur du dialogue en fait un peu trop. En effet, à force de vouloir réunir le maximum de participants possible, Moussa Fall risque en fin de compte de «clochardiser» ce dialogue. Ainsi, parmi les innombrables organisations et structures venues remettre leurs «contribution», il y en a dont la crédibilité et le sérieux laissent fortement à désirer. N’empêche, Moussa Fall poursuit ses concertations et, dans ce cadre, il a récemment organisé une rencontre avec la «diaspora mauritanienne en Afrique de l’Ouest» sans que l’on sache comment les participants ont été cooptés et qu’est-ce qu’ils représentent réellement.
Positions antagonistes de certains acteurs
Au-delà de la forme, il y a des questions de fond qui ne semblent pas – du moins pour le moment – faire partie des priorités des futurs «dialoguistes». C’est pour cette raison que le seul qui rejette le dialogue jusque-là la participation au dialogue est Biram Dah Abeid. Il a comme condition que son parti soit reconnu et exige des garanties pour le règlement définitif du dossier des jeunes tués lors des manifestations à Kaédi à la suite de la proclamation des résultats de la présidentielle de 2024. Il demande également que le dialogue soit transparent, que ses conclusions se concrétisent, et la désignation d’un organe neutre chargé de sa supervision, autre que le ministère de l’Intérieur. En clair, il faut des garanties sur la mise en œuvre des conclusions et un mécanisme consensuel de suivi du dialogue. Le dialogue en préparation est déjà ainsi confronté aux positions antagonistes de certains acteurs sur des sujets comme la place des langues nationales, la discrimination raciale, le passif humanitaire et l’esclavage. Les nationalistes arabes considèrent qu’il n’est pas opportun d’aborder ces questions qui touchent à l’identité du pays et à la cohésion nationale. Leur déchaînement, ces dernières semaines sur les réseaux sociaux et dans la presse, exprime leur détermination à s’opposer coûte que coûte à des discussions là-dessus. De leur côté, les militants négro-mauritaniens et l’IRA sont a priori convaincus que ce dialogue ne sera pas différent des précédents, lesquels n’ont servi, selon eux, qu’à faire gagner du temps aux gouvernements successifs. Ils exigent des garanties sur des débats qui porteront sur tous les sujets sans restriction, notamment sur la coexistence entre les communautés et l’esclavage, mais aussi sur l’engagement personnel du président à appliquer les recommandations des assises.
Sans résultats tangibles, le fossé se creuse davantage
De façon générale, l’opinion et les forces démocratiques mettent en avant la nécessité de trouver une entente nationale sur les questions évoquées, en particulier celles qui divisent les mauritaniens et constituent une menace pour la paix, la cohésion et la justice sociales. En effet, si ce dialogue politique n’aboutit pas à des résultats concrets, il peut, paradoxalement, aggraver les tensions plutôt que les apaiser. En effet, si les acteurs investissent du temps et des efforts dans des discussions sans voir de changements tangibles, cela peut renforcer leur frustration ou leur méfiance. Ils pourraient percevoir que leurs préoccupations ne sont pas réellement prises en compte ou que le processus est simplement symbolique. De plus, dans un contexte où la confiance est déjà fragile, l’absence de résultats peut alimenter le sentiment que le dialogue est inefficace ou qu’il sert uniquement à faire semblant. Cela peut encourager certains à se sentir exclus ou à douter de la sincérité des autres acteurs, ce qui risque d’accroître les divisions. Enfin, si le dialogue ne parvient pas à traiter efficacement les enjeux importants, cela peut laisser place à des frustrations sociales ou politiques, voire à des revendications plus radicales. Tout cela pourrait fragiliser la stabilité du pays, en alimentant des tensions ou en donnant l’impression que le processus démocratique est bloqué ou inefficace. En résumé, un dialogue sans résultats tangibles peut creuser le fossé politique en renforçant la méfiance, en alimentant la frustration et en laissant les problèmes non résolus, ce qui pourrait menacer la stabilité de la Mauritanie. C’est pourquoi il est crucial que ces discussions soient accompagnées d’engagements concrets et d’une volonté sincère de changement.
Si les autorités veulent rompre avec la tradition des dialogues sans lendemain, elles devront aller au-delà des annonces. Ainsi, le président Ghazouani s’est voulu rassurant à ce sujet, le 11 mars 2025, face aux chefs des partis de la majorité et de l’opposition, en exprimant son engagement à organiser un dialogue qui permettra de résoudre définitivement les questions fondamentales de l’unité nationale et de la bonne gouvernance du pays. La réussite de ce dialogue dépendra de sa capacité à traiter des questions sensibles sans tabou, dans un cadre transparent, inclusif et accompagné d’actes concrets à travers un mécanisme consensuel et indépendant chargé du suivi de la mise en œuvre des recommandations. Ce dialogue devra être un moteur de changement. À défaut, il pourrait creuser davantage le fossé politique qui menace la stabilité de la Mauritanie.
Sikhousso