21 leçons pour le XXIème siècle ….DU PROFESSEUR YUVAL NOAH HARARI
Dans Le Calame du 7 juin 2025, j’avais promis – La promesse est une dette – de vous partager la quintessence de l’impressionnante tétralogie Y. Noah Harari composée de quatre best-sellers de Yuval Noah Harari, tous parus aux Editions Albin Michel : ‘’Sapiens, une brève histoire de l’humanité’’, 2015 ; ‘’Homo deus, une brève histoire du futur ’’, 2017 ; ‘’21 leçons pour le XXIe siècle‘’, 2018, et ‘’Nexus, une brève histoire des réseaux de l’information de l’âge de pierre à l’IA’’, 2024.
Les quatre livres devenus des documents fétiches, mieux, un mantra aussi agréable que captivant, s’apparentent par leur contenu et par leur portée incommensurable. Même si la rigueur intellectuelle et l’intelligence mise en œuvre pour le raisonnement est polymorphique, la thématique globale demeure celle de l’Humanité et les périls planétaires fatalement imparables. De fait, l’humanité marche à pas forcés vers l’inconnu.
Déjà Gaston Bachelard trouvait qu’elle avance par crise ; Harari, lui, trouve dans la trajectoire de l’humanité « des disruptions ». Il se sert efficacement de cette notion en vue de faire la lumière sur les progrès technologiques, politiques et sociaux fulgurants qui transforment insidieusement les structures traditionnelles.
Pour l’auteur, il ne s’agit pas seulement d’une innovation, mais aussi d’une déstructuration impactant tous les domaines vitaux : au plan technologique, le travail, la médecine, l’économie sont perturbés par l’Intelligence Artificielle, la robotisation, les technologies et big data. Au plan économique, les métiers sont supprimés ou se transforment à une vitesse aussi vertigineuse que l’Etat, grand employeur ne suit pas toujours.
Au plan politique, les nouvelles technologies font chômer les institutions traditionnelles, donnant plus de pouvoirs aux géants du numérique (GAFA). Au plan social, ébranlés, les repères identitaires et culturels suscitent anxiété et incertitude.
Au plan cognitif et spirituel, l’humain perd la stabilité nécessaire pour construire du sens.
Tout au long de son volume de plus de cinq cents pages, Y.N. Harari expose les progrès dus aux artefacts que l’homme s’est efforcé de générer.
Dans un style fluide, souffrant de nulle incongruence ou aspérité, le Professeur d’histoire s’adonne à une historiographie des sciences et du savoir de l’homo sapiens, accent mis sur les avatars et les pouvoirs de la machine, sous l’effet des algorithmes et de l’IA porteuse d’incertitudes.
La truelle et la lampe
Cela s’apparente d’ailleurs à une véritable archéologie des pérégrinations homo-sapiennes, tant la truelle racle les chemins sinueux et sombres de l’humanité, pour plonger dans les fonds baptismaux. Sous la plume sentant le fiel, jamais, le miel, au lieu de faire la genèse des étapes dont l’humanité s’est gargarisée, les savourant à volonté et de façon quasi-puéril -comme un enfant au stade labial freudien –, l’historien dresse une indicible anamnèse. Oui-da, anamnèse ! Puis qu’il s’agit au bout du compte d’une malade, dont on ne sent pas les remissions cycliques, n’étant pas reconnuecomme telle. Accoudé sur le bar, le bon-vivant épicurien, qui s’empiffre allègrement, ne réalise pas que tous ces moments d’évasion mènent à l’éthylisme morbide. Ainsi Sapiens a toujours pavoisé chaque fois que les apprentis-sorciers ont gratté leur méninge pour sortir une lampe éclairant d’un rai blafard la grotte du savoir. L’homme semble alors envier
Aladin, dont la lampe merveilleuse exauce ses caprices, chaque fois qu’il frotte l’outil kabbalistique par l’un de ses petits doigts.
Les quatre icebergs
Ce paradigme, faut-il le faire remarquer, n’est pas une récente découverte. Le mal de vivre et la souffrance psychologique, dus à l’incertitude des temps convulsifs, a été diagnostiquée par d’autres homo sapiens. Charles
Baudelaire a toujours tangué et roulé entre le Spleen et l’Idéal lui inspirant par ricochet son œuvre « Les Paradis artificiels » un essai où le poète traite de la relation entre les drogues et la création poétique. Baudelaire met en question l’intimité du lien qui pourrait exister entre les drogues et le poète ; «le poète véritable n’ayant pas besoin de drogues » pour trouver l’inspiration.
D’ailleurs les hallucinogènes et les substances psychotropes ont plutôt amené Gérard de Nerval à se suicider. Plus près de nous, Jacques Attali, une personnalité de l’équilibre mais du doute intellectuel, indemne, au demeurant, de toute accoutumance aux produits soporifiques, a dû sonner l’alarme. Bien avant Y.N. Harari. Dans son brillant article, « Le Titanic, le Mondial et nous », J. Attali retient l’image de quatre icebergs mortels et de trois films qui ont estampillé de façon indélébile l’imaginaire – même s’ils ne sont pas les meilleures oeuvres du septième art. Autant en emporte le vent, Ben Hur et Titanic racontent tous les trois la même histoire : celle d’un amour impossible dans une société en décadence pendant la naissance
d’une autre. Cela rappelle par association d’idées les disruptions chères à Harari. « Demain est un autre jour », dit Rhett Butler, le héros fictif d’Autant en emporte le vent. Ben Hur reprend comme en écho : « Il vous sauvera. » Et le héros de Titanic ajoute : « Il faudra vivre après ma mort. »
Quant aux gigantesques glaçons dont n’émerge que la pointe, faisant patte blanche, ils sont de quatre types : l’iceberg écologique, avec l’échec de toutes les tentatives de réduire ou même de stabiliser la production mondiale de carbone et l’augmentation de la température de l’atmosphère qui en résulte ; l’iceberg social, avec la certitude, si on ne change pas de route, d’avoir dans cinquante ans plus de trois milliards d’hommes et de femmes en situation précaire, cloîtrés dans les soutes du monde ; l’iceberg nucléaire, avec la prolifération qu’annonce le sang-froid avec lequel l’Inde et le Pakistan ont négligé les menaces de sanctions américaines et le caractère dérisoire de celles-ci ; l’iceberg financier qui commence avec l’Indonésie, continue avec le Japon et la Chine, la Russie, et qui se prolongera avec l’Europe si l’euro, devenu monnaie- refuge, monte très au-delà de sa valeur.
Récits, défis et avatars
Le fléau quadrupède amer et cher à Attali nous ayant déjà investis est objet, entre autres spectres, des 21 leçons de Y.N.
Harari exposés en cinq parties (Le Défi technologique ; Le défi politique ; Désespoir et espoir ; Vérité ; Résilience). Se faisant comme dans son bestseller, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, il est question de l’Histoire parsemée, voire jonchée de misères souvent emmitouflée dans le bonheur ambigu. Au fait, l’histoire a connu plusieurs récits se voulant un projet de société mondiale. A l’instar, dit-il, de chaque groupe humain et de chaque nation, au XXème siècle, les élites mondiales de New York, Londres, Berlin et Moscou ont élaboré trois grands récits prétendument holistiques prétendant expliquer aussi bien la totalité du passé que celle de l’avenir : le récit fasciste, le récit communiste et le récit libéral. La seconde guerre mondiale eût douloureusement raison du Fascisme. De 1940 à 1980, le monde est devenu l’arène réservée à deux récits : le communisme et le libéralisme.
Le communisme s’étant effondré, le récit libéral reste le guide dominant du passé humain et l’indispensable bréviaire de l’avenir du monde. Aujourd’hui, un peu comme les élites soviétiques des années 1980, les libéraux broient du noir, incapables à comprendre comment le fleuve de l’histoire a dévié de son cours.
Leurs désarrois les amènent à penser en termes apocalyptiques, comme si l’histoire nous précipitait inexorablement vers l’Armageddon.
Tout compte fait, le donneur des 21 questions, essaie tout au long de son volumineux ouvrage de décrypter le XXIème siècle sous tous ses aspects – politique, social technologique, environnemental existentiel. Aussi poli que percutant, il essaie de répondre à un faisceau de questions : Pourquoi la Démocratie est-elle en crise ? Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle guerre mondiale? Que faire devant l’épidémie des fakes news ? Quelle civilisation domine le monde ? L’occident, la Chine ou l’Islam ? Que pouvons-nous face au terrorisme ? Sous la plume de l’auteur de Sapiens et d’Homo deus on lit « un siècle en pleine mutation dont nous sommes les acteurs et auquel nous pouvons donner sens par notre engagement. Car si le futur de l’humanité se décide sans nous, nos enfants n’échapperont pas aux conséquences ».
Des témoignages laudatifs envers les 21 leçons de Y. N. Harari, nous retenons celui du journal Le Point : « De l’immigration à l’intelligence artificielle, du climat aux religions, Yuval Noah Harari dresse un portrait lumineux de notre époque » Et celui de Libération : « Un ouvrage magistral ».