«L’arabe en tant que langue du Coran, mérite respect et considération, mais ce n’est ni une langue technologique avancée, ni une langue des sciences exactes ou à la pointe des connaissances modernes, ni fondatrice d’une démocratie avancée et moderne»
C’est un débat sans fin ! Depuis l’indépendance, l’arabité – ou l’arabisation – du pays revient comme un serpent de mer. Dans certains milieux l’obsession de l’arabité laisse à penser que plutôt de vouloir arabiser tout le pays, on voudrait se convaincre soi-même de son arabité. Pourtant, comme l’avait si bien théorisé l’écrivain Nigérian Wole Soyinka, «un tigre n’a pas besoin de crier sa tigritude». Les plaques d’immatriculation des véhicules, les panneaux publicitaires et même les signalétiques de la circulation sont en train peu à peu d’être arabisés pour montrer que la Mauritanie est un pays arabe. Apparemment, il y en qui en doutent encore.
Déjà, en son temps, l’ex-Premier Ministre, M. Moulaye Ould Mohamed Laghdhaf, pourtant francophone et francophile, avait relancé la polémique en déclarant vouloir faire exclusivement de l’arabe une langue de travail et d’échanges au sein de l’administration. Une déclaration reprise et appuyée par sa ministre de la Culture de l’époque, Mme Mint Boyde, dont la maman est pourtant française et dont le fils unique était inscrit au Lycée Français, qui avait estimé que «les langues nationales sont une menace pour la langue arabe» ! Avant cela, le député Khalil Ould Teyyib – dont les relations obscures avec l’ex-président Khaddafi sont un secret de polichinelle – s’était permis de déchirer, en pleine séance plénière de l’Assemblée Nationale, un document au prétexte qu’il était rédigé en français.
Moktar Ould Daddah et les prémices de l’exclusion
Le problème relatif aux questions linguistiques en Mauritanie, vient du fait que la politique qui est jusque-là menée est fondée sur des mensonges et des négations identitaires. Il y a peut-être, dans la volonté de faire de la Mauritanie un pays arabe, en dehors des rapports de domination d’une entité sur d’autres, quelque chose de pathologique, de névrotique. Depuis plus de soixante ans, c’est-à-dire depuis la veille des indépendances africaines et jusqu’à nos jours, la question de la place de l’arabe en Mauritanie empoisonne la vie politique, culturelle et sociale du pays. Les constitutions du 22 mars 1959 et du 20 mars 1961 stipulent que la langue nationale est l’arabe et que la langue officielle est le français (article 3 de la Constitution de 1961). On voit, déjà, qu’à l’aube et aux premières heures de l’indépendance du pays, les autres langues parlées par les populations vivant sur le sol mauritanien sont exclues d’une portée nationale par la Loi fondamentale, car seul l’arabe est considéré comme langue nationale. Les populations noires auraient dû voir là les habiles premières manœuvres d’Ould Daddah (en bon Ehel Guibleh) et ses comparses en vue de faire de la Mauritanie un pays arabe. Mais le fait que l’arabe soit la langue du Coran, étudié par les couches noires du pays, a peut-être participé à chloroformer les esprits.
Tout acharnement à affirmer son identité doit faire l’objet d’examen
Les Hassan sont des arabes chassés d’Arabie qui ont sillonné de nombreux territoires avant de se poser en Mauritanie entre le XIVème et le XVème siècle. Ces expulsés de leur terre ont fini par dominer les Berbères qu’ils auraient trouvés sur place et à qui ils auraient imposé leur langue. Ayant étant chassés d’Arabie et pas trop souvent considérés par le monde arabe, ne seraient-ils pas, inconsciemment, dans le besoin de s’affirmer ? Tout acharnement à affirmer son identité doit faire l’objet d’examen. Comme le disait Wolé Soyinka, «le tigre n’a pas besoin de proclamer sa tigritude, il bondit sur sa proie».Citons également à ce sujet Mme Hindou Mint Ainina, ancienne ministre de la Culture : «à mon humble avis, ce n´est pas en criant notre arabité sur les toits que nous arriverons à nous convaincre que nous sommes arabes. En fait, ceux parmi nous qui tiennent ce langage donnent l´impression d´un enfant qui arrive tant bien que mal à exprimer ce qu´il croit, mais a besoin de l´approbation de sa mère pour y croire vraiment. Nous paraissons vouloir nous convaincre nous-même d´un fait qui a été accompli avant nous».
L’arabité, dans le contexte mauritanien, est un concept dangereux
Dans ce pays qui joue un rôle tampon entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, ce sujet remet au goût du jour l’obsession de l’arabité, pour laquelle le régime de Maaouiya Ould Taya a sacrifié les Négro-Mauritaniens, qui ont été chassés de leur pays. Au regard de ce douloureux précédent, on se demande pourquoi on cherche de temps en temps à ouvrir cette boîte de Pandore. Car l’arabité, dans le contexte mauritanien particulièrement, est un concept dangereux qui doit être manipulé avec prudence et doigté, car la frontière avec celui de l’identité nationale est très sensible. Le débat serait facilité, s’il n’y avait pas cette part d’ombre névrotique, s’il y avait moins de passions et un peu plus de clairvoyance. Car il y a les faits. Il y a l’histoire. La population mauritanienne est composée d’Arabes, de Peules (Pulaars), de Soninkés, de Wolofs, de Bambaras, de Berbères, de Sérères… Voilà quelque chose qui est là, qui se pose comme un fait. A partir de là, pour celui qui cherche l’équité, il doit se demander comment toutes ces populations peuvent vivre ensemble dans le respect mutuel. Pour que des personnes différentes vivent ensemble pacifiquement, il faut que les droits de chacune d’entre elles soient respectés par les autres. Reconnaître l’identité de chaque Mauritanien ne peut être que source d’apaisement, de rapprochement, d’ouverture vers l’autre, de coopération. Une fois cette étape franchie, se posent alors des problèmes d’ordre pratique. Comment faire pour que des ethnies différences cohabitent et travaillent ensemble. Par rapport à ce que nous venons de dire, il est donc du droit de chaque Mauritanien de préserver son identité, s’il en a envie, donc d’apprendre sa langue maternelle, et il faudra en même temps trouver une langue de travail commune. Là aussi, il faut essayer d’être objectif, lucide. La langue arabe n’est pas la langue de nombreux Mauritaniens. Nous faisons la différence entre hassanya et arabe. D’autre part, l’arabe n’est ni une langue technologique avancée, ni une langue avancée des sciences exactes ou humaines ou à la pointe des connaissances moderne, ni fondatrice d’une démocratie avancée et moderne. Alors soyons pratique, choisissons une langue étrangère performante pour nous développer et nous moderniser. Il faut sortir des sentiments et de la politique politicienne, névrotique, aveugle et regarder les choses en face.
Les Ecoles «El Falah», symbole de la mauvaise foi des chantres de l’arabité
Une preuve vivante que les négro-africains n’ont jamais détesté la langue arabe et de la mauvaise foi des pseudo-chantres de l’arabité, ce sont les Ecoles «El Falah». El Hadj Mahmoud Bâ les fonda en s’inspirant de l’école supérieure saoudienne «Madrasatoul Falah» d’où il était sorti après son pèlerinage à la Mecque et un cursus universitaire complet. Ce visionnaire fut capable de diffuser ses écoles dans toute la sous-région à partir de la fondation de la première institution de ce type dans son village natal de Djéol, en 1939 ! Pourtant, à une ou deux exceptions près, les centaines de cadres – tous négro-africains – qui sont sortis de cette école et ont pu poursuivre des études supérieures, pour la plupart en Egypte, ont été contraints de devenir tous enseignants, même ceux qui avaient des diplômes en agronomie, administration ou autres. Aujourd’hui, il n’y a aucune reconnaissance symbolique de cette institution qui, pourtant a joué un rôle plus que prépondérant dans l’épanouissement de la langue arabe en Mauritanie et partout en Afrique de l’Ouest. Au même moment on est en train de glorifier des Mahadhras sorties de nulle part et dont l’apport n’est en rien comparable à l’œuvre de feu El Hadj Mahmoud Bâ. En fait, comme l’avait souligné en son temps le professeur Lô Gourmo, l’objectif des pseudo-défenseurs de la langue arabe est de la transformer en un «instrument d’oppression et de discrimination et comme objet culte de la dévalorisation culturelle et de l’abaissement des autres langues nationales et de leurs locuteurs». En effet, il est quand-même curieux qu’au Maroc, en Algérie et au Mali on trouve, en plus des Arabes, des berbères, des touarègues et même des juifs, et qu’en Mauritanie, qu’il n’y ait que des Arabes. Comprenne qui pourra !
Sikhousso