La Mauritanie est désormais, à cause du volume de ses exportations annuelles d’environ 600.000 T, identifiée comme l’un des grands fournisseurs de la farine de poisson pour l’aquaculture commerciale en Europe et en Asie. Les écrits se multiplient à ce sujet et des vidéos circulent pour montrer combien cette activité, extravertie, menace l’existence de nos ressources pélagiques dans le court et le moyen terme si rien n’est fait par les pouvoirs publics.
Une situation qui transforme la production de la farine de poisson en Mauritanie d’un enjeu limité à une préoccupation partagée et inquiétante tant pour les pays avec lesquels nous entretenons des accords dans ce domaine que pour les défenseurs de la durabilité des ressources halieutiques de la sous-région parmi les scientifiques, les partenaires et les organisations de la société civile.
Au regard des objectifs de la Lettre de Politique et de Planification (L2P) du secteur des Pêches et de l’Economie Maritime 2022-2024 visant la préservation durable du patrimoine halieutique national et son environnement ainsi que la maximisation des retombées économiques et sociales de l’exploitation de ce patrimoine, la situation actuelle de la filière farine est désastreuse et intolérable pour plusieurs raisons.
D’abord, le nombre de bateaux, le rythme des rotations et le volume des captures par marée (300-350 T), traduisent un pillage systématique des ressources pélagiques, la présence de ces bateaux dans le cadre d’un affrètement coque-nue est incompatible avec la valorisation des glaciers mauritaniens, des navires dits CNM, des embarcations de filets tournants des N’Diagolais et puis avec l’émergence d’une main d’œuvre nationale qualifiée dans la pêche des petits pélagiques.
Ensuite, les énormes et faciles recettes réalisées vont dans les poches d’étrangers, la valeur ajoutée générée, est insignifiante surtout en ce qui est de l’emploi et des effets induits et enfin, les effets négatifs sur l’environnement et la santé des populations sont graves.
A propos, le mal réel est qu’à l’exception de quelques 3 à 4 établissements propriété de mauritaniens, les autres appartiennent plutôt à des étrangers via des prête-noms mauritaniens qui ne sont, en réalité, que des intermédiaires commissionnaires ; serait-ce exactement la même situation que connait la flotte dite nationale, notamment hauturière.
Il n’est d’ailleurs secret pour personne qu’il s’agit, dans les deux cas, d’images virtuelles de dignitaires civils, militaires et paramilitaires qui empêchent toute volonté de changer une situation qui s’est progressivement développée et amplifiée avec l’avènement de changement de paradigmes et la mise en place de la stratégie sectorielle 2015-2019 et de l’équipe chargée de sa mise en œuvre.
Pour changer cette réalité catastrophique, freiner son aggravation, voire inverser la tendance, l’ancien ministre des Pêches Dr Mohamed Abidine Mayif avait, malgré le contexte, entrepris un ensemble de mesures pour réduire la production de l’industrie minotière de notre pays et augmenter sensiblement les quantités de poisson destinées à l’approvisionnement du marché national et à des formes de transformation plus valorisantes pour nos produits halieutiques.
Son Excellence avait alors commencé par assainir le secteur et améliorer le cadre institutionnel, y compris la mise en place de procédures et formalités plus contraignantes, plus transparentes et équitables sous la devise « application de la règlementation en vigueur » ; la deuxième devrait être la révision de l’arsenal juridique en place pour l’adapter davantage aux orientations et objectifs aussi bien de la politique nationale 2016-2030 que la L2P 2022-2024.
En ce qui concerne particulièrement l’industrie minotière, objet de cet écrit, a été mis en place un système de suivi mensuel des établissements producteurs de farine de poisson à Nouadhibou, à Tanit et au PK28 pour approfondir le diagnostic du mode de fonctionnement actuel de la filière et définir les voies et moyen de surmonter les nombreux goulots d’étranglement existants au niveau des différents maillons de la filière.
Après quatre mois de terrain, la réflexion menée sur les résultats de suivi des stocks de farine de poisson et sur d’autres importantes mesures préalablement prises, a permis de définir une sorte de programme consistant à :
Plafonner les possibilités de pêche et l’effort de pêche correspondant :
Là, le quota global alloué à la production de la farine a été fixé à 136.000 T/an. Celui-ci est calculé sur la base de la production moyenne de 34 usines de faire en activité durant les trois dernières années (2020, 2021 et 2022) et du quota de 4000 T de produits entiers par an et par usine, fixé déjà par la circulaire n° 424 du 22 février 2016. Sachant que le nombre total des établissements de farine détenant actuellement un agrément est de 44, ce quota pourrait théoriquement s’élever, dans le pire des cas, à 176.000 T (4.000 x 44).
Le nombre total des navires à autoriser, est désormais en fonction du nouveau volume du quota et ce pour assurer l’adéquation de l’effort de pêche avec les possibilités de pêche octroyées. En plus, les navires doivent limiter les produits dans les cales et être dotés d’un système de conservation à bord adéquat tel que le RSW ou l’usage de caissons et de glace dans les normes requises ; une attestation délivrée par les services techniques de l’AMAM, devrait être obligatoire pour obtenir la licence.
Cerner les débarquements au quai et assurer leur transport dans de bonnes conditions
Il s’agit d’un côté, de bien vérifier la nature spécifique des captures, leur volume et leur destination précise et de l’autre, d’appliquer la réglementation en vigueur au maillon de transport afin de conserver au produit, jusqu’à sa destination finale, sa qualité commerciale et hygiénique au moment du débarquement au quai. La responsabilité du de toute dégradation ultérieure du produit liée au transport ou toute autre motif, incombera à la partie détentrice de la concession du droit d’usage.
Maitriser la traçabilité au niveau de l’usine
La mesure phare, en constitue l’application de la réglementation relative à la traçabilité, depuis l’enregistrement du produit à l’entrée de l’usine jusqu’à sa sortie pour l’exportation en passant par les autres étapes internes du circuit ; ceci consiste à cerner et maitriser (i) les sources d’approvisionnement en produits entiers (bateau, embarcation, mareyeur, usine de traitement et rejet/produits entiers certifiés par l’ONISPA comme étant non propres à la consommation humaine), (ii) la nature des espèces et de la catégorie des produits réceptionnés par l’usine (espèces autorisées à aller à la farine, produits entiers, déchets et rebuts, rejets), (iii) la quantité totale de farine produite au final par mois sous forme de lots codés, stockés au niveau de la salle de stockage et (iv) l’évolution du stock d’un mois à l’autre (exportations, cumul restant des stocks, y compris produits à recycler ou rappelés après une première tentative d’exportation, etc.).
Suivre de près les exportations de farine
Au niveau de ce point, il est prévu de procéder régulièrement au recoupement des données de suivi instauré par le Ministre avec les informations comprises dans les documents fournis à l’exportation par les services de la GCM, de l’ONISPA, des Douanes et de la BCM.
Par ailleurs, il importe de rappeler que la réalisation des objectifs spécifiques de réduction de la production nationale de farine et d’orientation de quantités plus importantes de poissons pélagiques vers le marché national et des formes de valorisantes du poisson autres que la farine et huile de poisson, dépend étroitement des performances de la GCM, de l’ONISPA et des services déconcentrés du Ministère.
Des textes réglementaires pertinents et complets sur la nature des infractions et des sanctions correspondant à chaque catégorie d’infractions, aideraient, avec des ressources humaines et financières respectivement compétentes et suffisantes, à dissuader les réfractaires et à atténuer une situation que les enjeux économiques rendent complexe et compliquée ; le remède magique, ne pouvant surement être que d’ordre éthique.
Dr Sidi El Moctar TALEB HAMME