En octobre 2022, le Président de la République, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, supervisait en personne le lancement du démarrage de «l’Ecole républicaine». L’objectif affiché était que désormais l’Ecole mauritanienne puisse «allier authenticité et exigences de la modernité et constituer un créneau d’équité et de cohésion sociale offrant à tout individu l’opportunité d’acquérir les connaissances, les comportements et les compétences lui garantissant succès dans sa vie personnelle et professionnelle, conformément à ses capacités et à son choix personnel». Au vu de ces objectifs, aucun individu, pour peu qu’il soit mû par l’intérêt suprême de la nation, ne peut et ne doit émettre des réserves sur cette initiative. Sauf que l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions.
Plus d’une année après, force est de constater que la réalité est très éloignée des intentions officielles affichées. Comme cela arrive souvent dans notre pays, les bonnes idées sont souvent noyées par des mesures de saupoudrage et détournées par des idéologues camouflés qui profitent de n’importe quelle opportunité pour faire passer leur agenda. Le doyen Samba Thiam, président des FPC ne s’y est pas trompé en affirmant : «Ce qui se dégage de tout ça, pour un esprit lucide et honnête, c’est qu’on nous trompe. On veut faire de nos langues, non pas des langues véhicules d’enseignement ou d’acquisition du savoir pour nos enfants, enracinés dans leur culture, mais juste des langues de support à l’arabe, pour sa généralisation et son imposition».
Vous avez dit équité ?
En effet, on a dit que l’Ecole républicaine est un outil efficace pour, entre autres, l’ancrage des valeurs de notre culture arabo-africaine, des valeurs de la citoyenneté, de l’équité et de la cohésion sociale. Où se trouve l’équité quand certains enfants vont être scolarisés dans leur langue maternelle, alors que les autres doivent attendre les résultats d’une hypothétique expérimentation de l’enseignement de leur langue ? Ça sent l’arnaque à plein nez. La volonté d’imposer l’arabe est manifeste et le subterfuge se voit comme le nez au milieu du visage. En fait, comme le dit un adage de nos compatriotes peuls, on est en train de demander aux enfants négro-mauritaniens d’abandonner un poisson qu’ils avaient dans la main (le français) pour un poisson qu’ils ont sous le pied (les langues nationales) qui peut donc leur échapper à tout moment.
En dehors de ces questions de fond, sur la forme, on est dans l’improvisation et dans les détails. Ainsi, des mesures sont souvent prises à l’improviste, en pleine année scolaire. A titre d’illustration, le 28 décembre dernier, le ministère a sorti une énième circulaire pour exiger des écoles étrangères d’introduire quatre nouvelles matières en arabe (Arabe, Instruction Religieuse, Instruction Civique, Histoire-Géo) suivant le programme mauritanien, c’est-à-dire en utilisant les manuels produits par l’IPN, avec le même volume horaire et les mêmes coefficients ! Mieux, il faut aussi à ces écoles adopter les mêmes uniformes que ceux du public. Le ministère ne se soucie apparemment pas des contraintes que cela entraine en termes de réajustements des emplois du temps et de recrutement de nouvelles ressources humaines, alors que l’année scolaire est à son 3ème mois !
Le problème ce ne sont pas les écoles privées
On assiste donc depuis quelques semaines à des descentes d’inspecteurs zélés qui, au lieu de s’occuper de la qualité de l’enseignement, vérifient la taille et les couleurs des uniformes. Tant qu’à faire, au passage, il faudrait aussi exiger que tous les enfants viennent à l’école dans le même type de véhicule. Pourquoi pas à pied ou en taxi ? N’oubliez pas aussi de vérifier le montant de l’argent qu’on leur donne pour le goûter. Interdit de donner plus de 5 MRU à un enfant, par exemple ?
Pour instaurer une école républicaine, la solution est toute simple : Rendre attractive et performante l’école publique. Il y a quelques années (jusqu’au milieu des années 80) les pensionnaires des écoles privées étaient considérées comme des «ratés». En effet, ces écoles accueillaient des élèves renvoyés des écoles publiques soit pour redoublements multiples, soit pour indiscipline. C’est seulement par la suite que la tendance s’est inversée. Et si aujourd’hui des parents se saignent à blanc pour envoyer leurs enfants dans des écoles privés, ce n’est évidemment pas de gaieté de cœur. Qui aimerait dépenser des centaines de milliers d’ouguiyas dans le privé s’il pouvait scolariser décemment ses enfants gratuitement ?
Mettre les enseignants dans de bonnes conditions, pour que le «garraye» ne soit plus dévalorisé et faire en sorte que nos établissements d’enseignement retrouvent leur rôle en tant que champ des valeurs républicaines, à travers une réforme radicale du système pédagogique permettant à tout enfant en âge de scolarité d’accéder à une école publique inclusive, telle doivent être les priorités. Tout le reste n’est que cinéma et diversion.
Sikhousso