Après des mois d’enquête menée par une Commission d’Enquête Parlementaire, des mois d’instructions et des semaines de procès, Mohamed Ould Abdel Aziz sera bientôt fixé sur son sort. En effet, au terme de plusieurs jours d’interrogatoires et de contre interrogatoires, de débats et de joutes oratoires entre les avocats de l’Etat et ceux du prévenu, le Procureur a requis 20 ans de prison ferme contre l’ancien Président de la République et la confiscation de tous ses biens. Un réquisitoire sévère selon certains, tout à fait juste, pour d’autres. A charge maintenant aux avocats de Mohamed Ould Abdel Aziz de déployer leurs arguments et leurs talents pour essayer de réduire la peine de leur client au strict minimum, à défaut d’espérer pouvoir l’acquitter.
En effet, après tout ce processus, avec toutes les «preuves» avancées, les témoignages à charge et les réponses pour le moins superficielles du prévenu et de ses coaccusés, on imagine mal le tribunal le déclarer innocent de toutes les charges qui pèsent sur lui. Quoi qu’il en soit donc, on peut supposer que même si le juge faire preuve de clémence – ce qui n’est pas assuré à cause de la nature du dossier – Mohamed Ould Abdel Aziz risque de passer de nombreuses années en prison. En effet même si le juge divise le réquisitoire du Procureur par deux, cela fera quand-même 10 ans ! Agé aujourd’hui de 66 ans, l’ancien Président, dont la santé est en plus fragile, ne sortirait donc qu’à l’âge de 76 ans. Si en plus tous ses biens sont saisis, on peut avancer sans risque de se tromper que son sort est scellé. En tout cas au plan politique, on le verrait mal pouvoir jouer un quelconque rôle d’autant qu’il est fort à parier que les Mauritaniens seront passés à autre chose.
L’entêtement comme stratégie de défense
Il faut dire que Mohamed Ould Abdel Aziz n’a rien fait pour arranger son cas. Convaincu qu’il s’agit d’un règlement de compte et d’une cabale politique contre sa personne, il n’a à aucun moment de la procédure essayé de calmer le jeu. Dès le départ, il a contesté la légalité de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP). Mohamed Ould Abdel Aziz savait, sans doute, qu’une partie de la nomenklatura politico-financière ne lui ferait pas de cadeau mais ne pouvait imaginer que les premiers coups de poignards viendraient de ses propres «amis ». C’est là la plus grande erreur de l’ancien président. Celle de croire que l’amitié était durable en politique. En effet, la mise en place de la CEP, en 2020, quels que soient ses mobiles fut sans doute la plus grande manifestation de désaveu de l’ancien Président et de la rupture irrémédiable avec celui qu’il pensait lui servir de «mentor». L’ex-président avait-il laissé d’autre choix à son successeur que le clouer au pilori ? Il faut bien reconnaitre que Mohamed Ould Abdel Aziz a vite fait, contre toute attente, d’inaugurer une inimitié envers l’actuel président Ghazouani, refusant, à tout bout de champ, sa main tendue. Ould Abdel Aziz mettait en avant « le retour en arrière ». Faut-il croire aussi que l’ancien président soupçonnait son « complice » de 40 ans de lui tendre un traquenard pour l’isoler politiquement ? Visiblement, en tout cas, l’ancien président avait mal négocié ce virage. Et moins d’une année seulement après l’élection de Ghazouani, et la polémique sur la possibilité de confondre l’ancien président judiciairement, la CEP avait le feu vert pour enquêter sur la gouvernance d’une décennie de gestion de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Dès lors, les choses se sont vite précipitées pour l’ancien Président. Rejetant sans cesse les conclusions de la CEP, invoquant l’immunité que lui confère son statut d’ancien président, Mohamed Ould Abdel Aziz est néanmoins souvent trainé par la police pour les besoins de l’enquête judiciaire. Il se mure dans un silence total laissant à chacun le soin de l’interpréter. Le dossier N° 01/2020 ouvre une nouvelle ère soupçonnée de moralisation de la vie publique. Mohamed Ould Abdel Aziz et une poignée de ses proches sont mis en examen, le 11 mars 2021 pour corruption dans une enquête qui a touché tous les domaines de la vie publique allant de la pêche, à la gestion des revenus pétroliers ou l’attribution des marchés publics. Trois cents personnes y étaient citées dans le rapport de la CEP.
Des dénégations qui sonnent comme des aveux !
Lors de son procès, confondu par les éléments à charge présentés par le parquet concernant les origines de sa richesse estimée à plusieurs milliards d’anciennes ouguiyas – qu’il revendique ostensiblement d’ailleurs – Mohamed Ould Abdel Aziz a fourni des explications qui ont laissé dubitatifs plusieurs observateurs. Parfois c’est un chef d’Etat étranger – dont il ne peut pas dire le nom – qui lui aurait fait un cadeau de plusieurs millions d’euros, parfois c’est un autre qui lui a octroyé des centaines de véhicules. Sinon, ce sont des sommes qui sont restées de ses différentes campagnes. Le plus rocambolesque dans la défense de l’ancien Président c’est quand il affirme ne pas connaitre l’origine des centaines de millions, voire des milliards, d’ouguiyas dans les comptes de ses enfants, notamment dans les comptes de la Fondation RAHMA, sans compter le patrimoine immobilier colossal amassé par ses proches. Pour le Procureur donc, Mohamed Ould Abdel Aziz, a abusé de son pouvoir afin d’amasser une immense fortune. « Tous les éléments entre les mains de la justice prouvent la constitution d’un crime », fait-il valoir. Accusant Mohamed Ould Abdel Aziz d’avoir « accumulé une très grande fortune que ses revenus légaux ne peuvent justifier » et d’avoir exercé « des activités commerciales incompatibles avec ses fonctions de Président de la République » de 2008 à 2019, le procureur a évoqué « un enrichissement illicite condamné par la loi ».
Rappelons en fin que lors de son réquisitoire d’environ trois heures, le Procureur a demandé des peines de 10 ans de prison ferme contre les deux anciens Premiers ministres et contre deux ministres, ainsi que la confiscation de leurs biens. Il a requis cinq ans de prison contre les autres prévenus.
Sikhousso